France Télécom,
entreprise de l’année !
Voici le message que Michel Deparis, cadre architecte réseau à Marseille, a écrit juste avant de se donner la mort le 13 juillet 2009 : « À l’attention de ma famille et de mes collègues de travail (…) Merci de diffuser cette lettre (…) Je me suicide à cause de mon travail à France Télécom.
C’est la seule cause. Urgence permanente, surcharge de travail, absence de formation, désorganisation totale de l’entreprise. Management par la terreur ! Cela m’a totalement désorganisé et perturbé. ».
Pour permettre à France Télécom de maintenir ses objectifs aux yeux des actionnaires, depuis sa privatisation et son ouverture au marché mondial, les salariés doivent trinquer. L’agent de France Télécom ne correspond pas au travailleur précaire que le patronat veut généraliser. Vingt-cinq suicides en un an et demi et presque autant de tentatives, sans compter celles qui ne sont pas détectées. Vingt-cinq personnes d’âges, de sexe et de situation différentes. Seul point commun, ils travaillent tous pour France Télécom et étaient tous dans une situation désespérée. Condamnés sur le billot du capitalisme, ces personnes ont utilisées leur dernier recours : ils sont morts pour se faire entendre !
Le début des hostilités commença le 1° janvier 1988, l’entreprise issue de la scission des Postes et des Télécommunication devient France Télécom. En 1991, elle est assujettie aux règles de droit commercial et non plus administratif. À partir de 1997, l’actionnariat privé prend progressivement le contrôle de l’entreprise (73% actuellement) — le capital ayant été introduit en Bourse par tranches successives. Dès lors les plans se succèdent les uns aux autres, restructurations incessantes et mobilités forcées. Les vagues de suicides aussi, pour mémoires entre 2000 et 2002, 80 salariés se sont suicidés.
Didier Lombard, PDG de France Télécom, a promis de garder l’intégralité de ses fonctionnaires, ce qui veut dire qu’ils doivent partir d’eux-mêmes ! Le management doit faire pression sur les employés en les formant à peine et en les envoyant sur des postes différents tous les trois ans et là interviennent les plans de « départs volontaires » forcés et les mails d’offres d’emplois qui arrivent directement dans les boites e-mails de la part de la hiérarchie.
Résultat : 100 000 employés aujourd’hui contre 160 000 il y a six ans.
Le PDG de choc accepte de «devoir leur expliquer plus. Nous allons modifier nos habitudes de dialogue et la manière dont on inter-réagit. » C’est la conception du dialogue selon la direction –dites-nous de quoi vous avez besoin on vous expliquera comment vous en passer ! Il admet même que « c’est douloureux parfois de changer de poste, mais cela peut être enthousiasmant. Mais si vous me dites que demain, on ne bougera plus dans France Télécom, je ne peux pas vous suivre! » Il est vrai qu’un fonctionnaire de 45 ans qui se voit muter sur une plateforme téléphonique pour vendre en six minutes par appel alors qu’il était technicien qualifié à la gestion des réseaux et ‘‘au service des usagers’’ doit être extrêmement enthousiasmé, et nous le comprenons, de changer de poste, surtout si celui-ci se situe à cent kilomètres de son ancien lieu de travail, et donc de vie.
Mais que l’on se rassure ! De grandes mesures sont déjà en marche ! Un numéro vert est mis en place pour que les « employés fragiles » puissent s’entretenir avec des psychologues après avoir vu leur collègue se faire hara-kiri à la suite d’une réunion où son supérieur lui a annoncé qu’il n’avait pas les compétences requises pour rester à son poste.
Autre blague : la direction de France Télécom annonce qu’elle va amplifier les formations par lesquelles 6 000 « managers » ont déjà été initiés à la ‘‘détection des signaux de détresse’’ des salariés. Ce personnel d’encadrement avait déjà reçu des formations pour… faire passer les objectifs de la direction !
Par exemple pousser des salariés dehors à moins qu’ils acceptent une mobilité géographique parfois à plusieurs centaines de kilomètres ou une mobilité professionnelle vers un secteur dit prioritaire, tout ce qui touche à des activités commerciales en particulier. Dans un de ces modules de formation, il est expliqué à l’encadrant à quoi il doit s’attendre après avoir annoncé la mauvaise nouvelle au salarié : celui-ci passe par une phase de « résistance » où il « refuse de comprendre », ce qui peut se traduire par « de la révolte », « du sabotage ». Mais, pris en main par le cadre, le salarié évoluera vers la « résignation » marquée par une « absence d’enthousiasme » et de la « nostalgie » pour le travail qu’il doit abandonner. Vient ensuite le coup décisif qui conduira le salarié à « faire son deuil » de sa situation présente pour accepter ce que la direction a prévu pour lui.
Et maintenant, il faudrait que le personnel d’encadrement répare les dégâts humains causés par la politique que la direction lui a demandé d’appliquer, ou du moins qu’il convainque les victimes de ne pas faire de vagues.
Enfin, suite aux pressions syndicales, le PDG avait annoncé le gel des restructurations, finalement jusqu’à la fin de l’année et un audit de 170 questions distribué aux employés or chaque année les salariés remplissent déjà «l’écoute salariale», un questionnaire de la direction ! Mais que l’on se rassure, encore une fois Didier Lombard est là. Il a exclu de démissionner et tiens à préciser que son mandat court jusqu’en 2011, et que donc il arrivera « à bon port ».
Et ces vingt-cinq salariés morts ? Et la centaine de milliers restant ? On met tout le monde sous antidépresseurs ? Face à l’absence totale de réaction collective nul doute que ce sera la prochaine mesure de la direction. Les syndicats ont accompagnés tous ces bouleversements, il est grand temps de se réveiller ! Car nous payons tous les jours le prix de cette trahison. Nous n’allons plus supporter les injonctions contradictoires de petits chefs, soumis corps et âme à la rentabilité. Nous ne supporterons plus les humiliations quotidiennes de ces arrivistes ratés qui se feront casser la gueule par leur propre direction, si ce n’est pas les salariés qui s’en occupent. « Ils ont compris qu’il y avait un problème mais ils continuent sur le même schéma. » Ces suicides ne les inquiètent que dans la mesure où une mauvaise pub incessante pourrait faire baisser le cours de l’action. Il devient urgent d’apprendre à ces tueurs à nous respecter. Nous ne tendrons pas la joue droite. Dans tous les agences, sur tous les sites l’action collective, réfléchie et déterminée pourra seule contraindre une direction qui n’écoute que la bourse.
ANNE S.
Publié dans Combat n°11 Automne/Hiver 2009