Les théories du complot : Le cancer moderne de la pensée.

Les théories du complot :

Le cancer moderne de la pensée

 

Les échecs du prolétariat et du communisme à la fin du vingtième siècle ont laissé l’humanité désarmée face à un système capitaliste monopoliste et financier tout puissant. La classe salariée montante, aussi puissante qu’elle soit – en termes numérique et de compétences acquises – n’a pas encore fini de se remettre d’une crise subjective sans précèdent.

Autrement dit, les conditions d’organisation, de conscience de classe, de propagation de l’idéologie révolutionnaire et du projet marxiste, qui doivent permettre au salariat de renverser la grande bourgeoisie internationale mettront du temps à être à nouveau réunies. Et en attendant, dans ce contexte difficile où la contestation héritée du vieux mouvement ouvrier est le plus souvent récupérée, pacifiée, et dénaturée par les préjugés libéraux et réformistes imposés par la propagande du monde capitaliste, ceux qui s’interrogent sur le sens du monde moderne restent nombreux. Sur cette base, où la conception marxiste ne remplit plus son rôle d’explication rationnelle du monde, le besoin humain de réponses, et la méfiance -ô combien justifiée- à l’égard des dirigeants capitalistes, ont engendré le développement d’un courant de pensée : le conspirationnisme.

Les conceptions conspirationnistes ou les théories du complot, relèvent au mieux d’un idéalisme philosophique poussé à l’extrême, au pire elles relèvent d’une conception fanatique et quasi- religieuse du monde. Dans tous les cas, le conspirationnisme vise à donner une interprétation de l’histoire fondée sur la croyance d’une force consciente toute-puissante, décidant, à l’aide de complots et de projets secrets, de la marche historique du monde.

Eh bien, ce sont les « Illuminatis », les francs-maçons, les juifs ou les sionistes, avec parfois leurs interdépendances et leurs liens supposés avec le diable ou encore avec les extra-terrestres… Précisons qu’il n’y a pas là une seule théorie, dominante et aboutie, mais un ensemble de conceptions éparses, parfois contradictoires, mais fédérées par les mêmes erreurs de méthode et les mêmes lubies paranoïdes dans un même courant de pensée.

Pourquoi faut-il nous soucier du développement de ces théories ? Pourquoi sont-elles fausses ? Pourquoi sont-elles des ennemis déclarés de la révolution et du marxisme ? C’est à ces questions que nous tâcherons d’apporter quelques réponses.

1) Ignorer ou affronter les théories du complot ?

Précisons encore, que par théories du complot ou par conspirationnisme nous entendons un courant qui vise à donner un certain type d’explication au monde et à l’histoire humaine. Les théories se contentant, en revanche, de souligner tels ou tels éléments troublants ou discordants concernant un événement historique, ou la version des autorités qui s’y rattache, sont en effet d’un autre registre : celui de notre devoir critique d’un retour au doute, quand celui-ci est justifié par des faits et par un raisonnement rationnel et pertinent. Notons, et ce n’est peut-être pas un hasard, que les premières victimes du conspirationnisme sont précisément tous ceux qui se battent sincèrement pour la vérité contre les puissants de ce monde.

Noyer le vrai dans le faux, et amalgamer la méfiance critique aux théories les plus délirantes, il n y a pas de meilleur moyen de discréditer la quête de vérité.

Car, au vu du peu de réactions critiques à l’égard des énormités conspirationnistes, la règle semble bien être le mépris et l’indifférence. Certains, comme des intellectuels condescendants, les jugent sans doute trop peu crédibles pour les soumettre à la critique, et il y a ceux qui se contentent de les expliquer, sans parler de ceux que ces théories arrangent, mais au final peu ont fait l’effort de les démonter, de les attaquer de front sur un terrain politique et polémique. Pourtant, les théories du complot pullulent, essentiellement par le biais d’internet, et influencent à divers degrés un nombre croissant et déjà important de personnes. Et si elles ne sont pas nouvelles, c’est un fait, elles ont acquis une influence suffisante sur le peuple, pour mériter d’être combattues. En effet, le simple fait de rencontrer de plus en plus souvent des gens adhérant à ces théories, nous impose de leur donner notre attention.

Enfin, si le conspirationnisme se doit d’être combattu, c’est qu’en plus d’offrir simplement une conception erronée voire délirante, il est, dans son essence philosophique comme dans sa genèse historique, réactionnaire et viscéralement antirévolutionnaire. C’est parce qu’il touche un public qui s’interroge de façon critique sur le monde, qu’il l’enferme dans le nihilisme et le fatalisme politique, que nous autres, marxistes-révolutionnaires, devons le combattre. Toute conception du monde, qu’elle soit religieuse ou politique et qui vise, de facto, à détourner le peuple mondial de la compréhension matérialiste marxiste et de ses objectifs révolutionnaires, doit s’attendre à la foudre rouge de la vérité critique !

2) Comment démontrer que les théories du complot sont fausses ?

Si les complots historiques existent et que -nous l’avons dit- il est hors de question pour nous de discréditer par principe les historiens, journalistes ou autres enquêteurs qui cherchent à faire éclore une vérité ou simplement à émettre des doutes, nous affirmons néanmoins que le conspirationnisme, comme conception du monde et de l’histoire est fausse.

Mais comment le démontrer ? Que des élites politiques et économiques « complotent » à différentes fins et en particulier contre les peuples (antagonisme des intérêts oblige) c’est une évidence. Tout comme nous, qui complotons à notre échelle contre ces même élites et leur système. Mais, lorsque nous avons à faire à une théorie qui consiste à greffer le maximum de faits, qu’ils soient vrais ou pas, à une certitude de départ, ce n’est pas la même chose.

La conception conspirationniste, n’est en effet ni construite à partir des faits, ni réduite au statut d’hypothèse, mais s’élève d’emblée –religieusement- au rang d’axiome onirique, d’une vérité invérifiable et occulte, au sein de laquelle la réalité sociale et historique doit s’accorder. Les faits, les événements ou même les symboles, sur laquelle elle s’appuie, peuvent être tout à fait réels et vérifiables, mais la façon dont ils sont reliés -entre eux comme avec la trame ésotérique de départ- restent complètement hypothétiques. A partir de là, les théories du complot se suffisent à elles-mêmes, et sont aux antipodes de toute pensée un tant soit peu scientifique. Et pour la même raison qu’il est impossible de démontrer que dieu existe ou qu’il n’existe pas, il est impossible de démontrer qu’une théorie fondée sur une foi quasi-mystique en un complot secret est fausse.

Ce qui est possible, en revanche, c’est de donner une explication du monde cohérente, en se fondant sur les acquis de la science historique, sociale et économique.

Et si par là, la conception du marxisme scientifique peut mettre en lumière les lois et les mécanismes « historico-naturels » à travers lesquelles les sociétés humaines -en tout cas contemporaines- sont nées et se sont développées, les conceptions idéalistes du monde, c’est-à-dire fondées sur l’idée que la pensée consciente crée le social, perdent toute crédibilité. Mais dans le cas du conspirationnisme, nous n’avons pas affaire à un idéalisme philosophique quelconque, puisqu’il ne s’agit pas seulement de croire que la pensée humaine, en général a produit le monde social, mais bien de croire qu’une élite spirituelle secrète et tout-puissant ait pu régir l’histoire sociale des hommes. C’est pourquoi les théories du complot ont sans doute d’avantage à voir avec une foi quasi-religieuse qu’avec une conception idéaliste classique, même si c’est avec la même science du matérialisme dialectique (marxisme) que nous pouvons en démontrer l’absence de pertinence, à défaut de pouvoir « prouver » que des fondements invérifiables sont faux.

Notons encore que pour que la théorie conspirationniste puisse « théoriquement » être juste, il faudrait que les effets escomptés de complots et de manipulations multiples, puissent être prévisibles. Or, la complexité économique et sociale, combinée aux fluctuations événementielles et humaines, rendent dans une large mesure l’histoire imprévisible. Messieurs « les illuminatis », même s’ils existent encore sous cette forme, ne sont donc de toute façon pas très différents de monsieur météo, ils ne peuvent prévoir – et donc préparer – que peu de chose, et ce à des délais et dans des domaines bien déterminés.

3) Pourquoi les théories du complot sont réactionnaires et anti-révolutionnaires ?

Si les théories du complot connaissent depuis quelques années un essor inquiétant, elles sont historiquement apparues en réaction à la révolution française, soupçonnée d’être le produit exclusif d’un complot franc-maçon visant -entre autres- à remettre en cause la religion.

Originellement, le conspirationnisme est donc le produit spirituel réactionnaire de quelques religieux et nobles en lutte contre le progrès révolutionnaire incarné à l’époque par la bourgeoisie. Mais lorsque le prolétariat, la nouvelle classe montante, a gagné ses premières révolutions contre la bourgeoisie au vingtième siècle, les conspirationnistes ont conclu à l’origine juive d’un certain nombre de dirigeants révolutionnaires et au caractère laïque des premiers régimes socialistes, et que cela devait nécessairement signifier que le communisme était lui aussi le produit du complot, une sorte d’antithèse du capitalisme afin d’aboutir consciemment à une « synthèse », qui serait une espèce de gouvernement mondial.

Evidemment, l’échec des premiers régimes socialistes n’a pas donné lieu à une quelconque synthèse, mais bien à la victoire d’un capitalisme anarchique et tout-puissant échappant de plus en plus aux mains des gouvernements nationaux…Mais les conspirationnistes ne sont pas à une incohérence près ! Et certains sont prêts à tout, y compris aux mensonges les plus grossiers, pour étayer leurs théories anti-communistes au point de réanimer le vieil adage des nazis sur le complot « judéo-bolchevique ». Ainsi Marx, lui qui dans « La question juive » n’hésitait pas à déclarer que « l’émancipation sociale du juif, c’est l’émancipation de la société du judaïsme », a pu être accusé d’avoir participé à la conspiration en raison de ses origines juives

C’est ainsi encore que des dirigeants comme Lénine ou Trotski, qui combattirent toute leur vie contre toutes relations des communistes avec les milieux francs-maçons, considérés par ce dernier comme «…une partie non officielle, mais extrêmement importante du régime bourgeois. Extérieurement, elle est apolitique, comme l’église, au fond, elle est contre-révolutionnaire comme elle » (Communisme et franc-maçonnerie, 1922), ont pu être taxés de comploter dans les loges maçonniques… Et le fait, enfin, que les marxistes et leurs alliés, à commencer par le Palestine Communist Party, s’opposèrent radicalement au sionisme, puis à Israël, n’empêche nullement les conspirationnistes de considérer les communistes comme des ennemis liés au complot sioniste… En revanche, le fait que les obscurantistes religieux, qu’ils soient chrétiens ou musulmans, aient toujours eu tendance à pactiser avec l’impérialisme contre les peuples et le progrès social, ne gêne absolument pas les conspirationnistes, qui font front avec les réactionnaires religieux au sein d’un clivage imaginaire qui les opposerait à un complot impérialiste sioniste et laïque, dont le but serait de détruire la religion et d’imposer un gouvernement mondial… Le raisonnement des conspirationnistes, par-delà la méthode, n’est qu’une aberration générale, ignorant tous des mécanismes économiques et des antagonismes sociaux, tout comme ils ignorent les vrais enjeux historiques. En réalité le conspirationnisme n’est en rien un point de vue critique du monde, il en est plutôt la réaction de droite, le point de vue du fatalisme désabusé en recherche d’une explication simple à la marche des choses, mais sans jamais vouloir la changer.

C’est pourquoi le conspirationnisme, s’il s’associe très bien avec le fanatisme religieux, ne s’accommode en revanche pas du tout avec le marxisme révolutionnaire, même si, souvent, nous dénonçons les mêmes élites du système capitaliste.

Conclusion.

L’histoire, dès ses débuts jusqu’à nos jours, n’est pas l’œuvre d’une conscience toute puissante, ni d’un dieu, ni d’un groupe occulte. Les sociétés humaines d’exploitation, c’est-à-dire, divisées en classes sociales et avec une forme d’Etat, sont nées à travers des lois de développement, dans des conditions et dans des circonstances précises et déterminées. La société féodale est née des décombres de la société esclavagiste antique, et il a fallu que se développe jusqu’à un certain point le commerce et la classe sociale bourgeoise, pour que le capitalisme industriel naisse du fait de la convergence de plusieurs facteurs indépendants, dans un endroit donné du monde (en l’occurrence l’Angleterre). Si un exode rural massif lié à une vague de « privatisations » aristocratique des terres des communes paysannes a eu lieu en Angleterre au 16ème et 18ème siècles et que par suite, et de façon indépendante, des riches commerçants constatant la hausse de la demande de tissus (en raison du besoin d’uniformes dans la marine) ont eu l’idée de regrouper dans les premières fabriques les paysans sans terre qui n’avaient que leur rouet (machine à tisser), ce ne fut le fruit d’aucun complot, mais bien le produit historico-naturel déclenché par un concours de circonstances indépendantes qui donnèrent naissance au capitalisme industriel !

De même, si du développement économique et social de la bourgeoisie au sein d’une société féodale pourrissante, des révolutions bourgeoises ont éclaté, il est impossible d’imputer cette série de faits historiques inévitables à la seule conspiration des loges franc-maçonnes de l’époque ! Ces dernières et leur orientations révolutionnaires, comme d’innombrables autres clubs et assemblées de discussion et de pensée sous la révolution française, n’étant évidemment que le produit de l’esprit de la classe révolutionnaire montante de l’époque, la bourgeoisie (qui avait un caractère populaire). Et de la même manière, ce n’est en aucune façon la dissémination de quelques illuminés de Bavière (société secrète créé en 1776 et dissoute officiellement en 1785) dans les loges maçonniques européennes, qui ont déterminé l’écriture – en conspirant et en infiltrant les pouvoirs – de l’histoire contemporaine. Tout comme il est impossible, pour un Bilderberg, ou toute autre réunion regroupant des élites, de contrôler la marche du monde, ni sur le plan géopolitique, et encore moins sur le plan économique, tant les principes même du capitalisme échappent à toute planification consciente de l’humanité.

Le capitalisme financier contemporain, dont Lénine dans «L’impérialisme, stade suprême du capitalisme » avait déjà magistralement saisi et expliqué le développement dès 1916, répond en effet à ses propres lois de recherche du profit à court terme, que les mécanismes boursiers contemporains rendent plus anarchiques et imprévisibles que jamais. Seul le marxisme donne une grille d’analyse historique pertinente, facilitant entre autre le débusquage des complots, des mensonges et des manipulations du pouvoir capitaliste. Le conspirationnisme, lui, n’est que négationnisme historique, idéalisme réactionnaire et nihilisme antirévolutionnaire !

ELIAS

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