Tunisie : Quel pouvoir pour les travailleurs ?

Tunisie :

Quel pouvoir

pour les travailleurs ?

 

Dix mois après la chute de Ben Ali, au terme d’un scrutin caractérisé aussi bien par une participation massive de la population, que par une multiplication des listes présentées, la Tunisie vient de se doter d’une Assemblée Constituante composée de 217 membres et chargée de mettre en place un nouveau cadre institutionnel.

À défaut d’être le peuple -qui au prix de son sang versé, avait fini par mettre un terme à 23 ans de dictature féroce en février de cette année- le grand vainqueur de cette consultation est le parti d’obédience islamiste Ennhada, de Rached Ghannouchi, qui peut se prévaloir du titre « d’opposition historique » à la dictature de Ben Ali depuis les années 70. Ce parti est une émanation des Frères Musulmans égyptiens et tire bénéfice de son implantation populaire et d’une structure organisationnelle ayant survécu à la répression. Il obtient 41% de voix et 89 sièges.

Le CPR (Congrès pour la République), parti laïque dirigé par Moncef Marzouki, obtient 14% des voix et 29 sièges, suivi de près par le mouvement Pétition Populaire de l’affairiste Hechmi Haamd qui obtient 26 sièges. Quant au parti Ettakattol (ou Forum Démocratique pour le Travail et les Libertés, FDTL) de Ben Jaffar, il est crédité de 9% des voix et peut prétendre à 20 élus dans cette Assemblée Constituante. Le PCOT (Parti Communiste des Ouvriers Tunisiens), obtient, pour sa part, 3 sièges.

Ces partis laïques, assimilables à une « gauche » tout au plus réformiste et qui abritent en leur sein des militants pour les Droits de l’Homme, des nationalistes et -surtout- des cadres d’une bourgeoisie tunisienne malmenée par la dictature de Ben Ali, s’apprêtent à former avec l’Ennhada un gouvernement provisoire qui devrait se prolonger jusqu’à la fin 2012.

Soucieux de présenter aux yeux des occidentaux une façade convenable, Ennhada se réclame d’un islamisme « modéré ». La pression internationale et le score obtenu par les partis laïques l’obligent à appeler à la formation d’un gouvernement « d’unité nationale ».

Outre que ça ne mange pas de pain et ne veut rien dire dans un contexte de mondialisation -ni de lutte des classes- cette posture ne correspond pas à la réalité : sans parler de sa base qui -depuis toujours prône la constitution d’une république islamique- les déclarations de certains cadres, promis à des postes dans le futur gouvernement, laissent présager une mainmise des religieux sur toutes les instances du pouvoir.

Ceci constitue la première source d’inquiétude pour nous, communistes révolutionnaires.

Cette révolution ne fut pas celle de l’insurrection d’un peuple en armes. Elle débuta par une révolte populaire spontanée, avec des revendications économiques et des timides exigences démocratiques. Sans direction claire, très vite elle vint servir les intérêts d’une fraction de la bourgeoisie jusqu’à là délaissée par la dictature et qui fit, du départ de Ben Ali, une exigence fédératrice.

Allié et serviteur fidèle des occidentaux, la communauté internationale ne ménagea pas ses efforts pour maintenir Ben Ali au pouvoir. Cependant, lorsque l’armée tunisienne refusa de continuer à le soutenir, ses alliés de hier finirent par le lâcher.

L’arrivée d’Ennhada au pouvoir fait donc planer le spectre de l’intégrisme religieux. Le peuple tunisien à l’origine de la révolte qui mit un terme à la dictature, les travailleurs et leur légitime soif de changement, pourront-ils s’accommoder d’un gouvernement qui, non seulement laisse intact l’appareil d’Etat bourgeois, mais qui -encore- y introduit la religiosité, la plaçant comme autorité immanente chargée de régir et de déterminer l’avenir ? Non.

Non, car les aspirations des travailleurs, leurs intérêts de classe, le socialisme, ne sont pas compatibles avec la religion quand celle-ci déborde de la sphère privée, quand elle est érigée en religion d’Etat et devient, de surcroît, l’inspiratrice du cadre institutionnel.

D’autre part -et c’est un autre aspect de la situation tunisienne que les révolutionnaires regardent attentivement- le gouvernement provisoire formé à l’issue de ces élections, par les programmes politiques des partis qui le composent, n’est pas de nature à satisfaire -même à minima- les attentes du peuple tunisien en matière de travail, de salaires, de santé, d’éducation, pour ne parler que des plus urgentes. Tous partis confondus, les mots d’ordre qu’on entend le plus souvent évoquent « la démocratie », « la dignité », « l’indépendance ».

Mais de quelle démocratie nous parle-t-on ? De celle exercée vraiment par le peuple travailleur dans le sens de ses intérêts de classe, à travers ses propres organes de décision et de contrôle ? Ou de celle au service des intérêts économiques d’une partie de la bourgeoisie, maintenue pendant 23 ans à l’écart des affaires par le système Ben Ali ?

De quelle dignité ? De celle qui permettrait -par exemple- à la jeunesse tunisienne d’accéder enfin à un système d’éducation qui lui ouvre de véritables perspectives d’épanouissement ? Ou de celle qui la poussera -parce qu’elle n’aura toujours pas de travail ni de formation professionnelle- à continuer à vendre, pour subsister, fruits et légumes avec un chariot, mais avec toutes les autorisations requises ?

De quelle indépendance ? De celle qui -garantie par le contrôle du peuple- lui laisserait le pouvoir de décider -en dehors des diktats du capital- comment planifier son économie, comment gérer ses ressources ? Ou de celle qui, dans les intérêts de la bourgeoisie et du capital international, permettra aux détenteurs du pouvoir de continuer à brader ces mêmes ressources, d’ouvrir encore davantage les frontières pour la plus grande joie des spéculateurs immobiliers, des magnats du tourisme, des investisseurs en tout genre ?

En tous cas, 10 mois après la chute de Ben Ali, la situation n’est pas en passe de s’améliorer.

Le peuple tunisien n’est pas dupe et ne se trompe pas en maintenant, encore aujourd’hui, la pression sur les nouveaux dirigeants. Ni la chute de Ben Ali, ni ces simagrées électorales n’ont eu raison de sa combativité. Au contraire. Refusant que sa victoire sur la dictature reste confisquée par une autre clique soumise aux mêmes donneurs d’ordres, il continue -il n’a pas cessé de le faire- à se battre, à se mobiliser. Partout dans le pays -et notamment dans les régions les plus pauvres- les manifestations se poursuivent.

Et s’il est ainsi, c’est parce-que les travailleurs, partout dans le monde, sont guidés -sinon par leur conscience de classe- par leur instinct de classe. Alors, même si ce ne fut pas une insurrection ouvrière, le peuple tunisien -et sa classe majoritaire, les travailleurs- semblent ne pas vouloir lâcher le morceau.

Après s’être débarrassé de Ben Ali et sa clique, pour le peuple tunisien se dessine un nouveau défi, le plus pressant et le plus noble, celui qui demeure la tâche suprême des travailleurs : celle qui consiste à construire le parti révolutionnaire qui les propulsera à la conquête totale du pouvoir, économique et politique, à l’édification d’une société socialiste !

FERNANDO

Publié dans Combat n°24 Novembre/Décembre 2011

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