Liquidation judiciaire de Sea-France : Mais qui se soucis des travailleurs ?

Liquidation judiciaire de Sea-France :

Mais qui se soucis des travailleurs ?

 

Un nuage sombre plane sur l’avenir des salariés de Sea-France à Calais et cette fois la météo n’y est pour rien. Le tribunal de commerce de Paris doit statuer sur le projet de reprise de la boîte par les salariés, via une SCOP. Un projet monté par la CFDT locale, largement majoritaire dans l’entreprise, et soutenu depuis peu par Sarkozy.

Dans la perspective des échéances électorales proches, celui-ci s’est emparé du dossier, n’hésitant pas à désavouer son ministre des transports Thierry Mariani qui, peu de temps auparavant, qualifiait les syndicalistes d’ « extrémistes fanatiques ». Derrière les beaux discours du gouvernement et de la CFDT se cachent une réalité beaucoup moins idéologique et des stratégies beaucoup plus individuelles.

Pour le chef de l’Etat il s’agit d’en remettre une couche sur la nécessité de donner les moyens aux salariés « aimant leur boîte » d’investir eux-mêmes à la sauvegarde de leur emploi, dans la droite ligne d’autres enfumages comme le fameux « travailler plus pour gagner plus » et l’arnaque des auto-entrepreneurs. De plus, celui qui a fait de l’emploi une priorité ne peut se permettre -à 4 mois des présidentielles et un mois après l’annonce des chiffres du chômage désastreux- le naufrage d’une boîte filiale à 100% d’une entreprise publique (SNCF), ni la perte de 880 CDI, auxquels s’ajoutent autant d’emplois indirects.

Quant au plan de SCOP de la CFDT locale, il s’agit d’une grossière manipulation de l’opinion et des salariés sous couvert d’un projet soi-disant autogestionnaire, en réalité bien plus loin de l’intérêt général des travailleurs que de celui particulier de quelques responsables syndicaux. En effet, derrière la séduisante dénomination de « coopérative ouvrière » se trame plus une aventure crapuleuse, un « coup » financier, qu’une réelle alternative sociétale destiné à préserver l’emploi. Les instances régionales de la CFDT ont d’ailleurs désavoué la CFDT Sea-France sur la gestion du dossier avant que les responsables nationaux ne les condamnent complétement.

Qu’est-ce donc que ce projet de SCOP ? La SCOP est une société commerciale comme n’importe qu’elle SA ou SARL, elle est soumise à l’impératif de rentabilité. Les salariés sont co-entrepreneurs et détiennent au moins 51% du capital, ils doivent pour cela amener un apport substantiel.

Il s’agirait dans ce cas de reverser leur indemnité de licenciement (négociée à plus de 50 000 euros) dans la SCOP. Les SCOP sont des montages financiers viables uniquement dans certains cas très particuliers, car leur principale faiblesse tient dans l’apport de capitaux très limité.

Les deux SCOP les plus importantes sont Chèque Déjeuner et Acome. La première ne produit rien (des chèques-repas en papier). Elle n’a besoin que d’un très faible investissement et fait son beurre grâce à son activité de trésorerie. La deuxième -fabriquant des câbles de cuivre et conducteurs optiques- est sur un marché très peu concurrentiel et a pu compter à l’origine sur des lois favorables lui attribuant des marchés.

L’exact opposé de Sea-France qui, sur le marché du trafic transmanche, se retrouve en concurrence avec le tunnel sous la manche et P&O. Qui plus est, son outil de travail (les ferries) est très demandeur en capitaux. Or, depuis 2008 le volume de fret baisse : (en 2010 Sea-France comptait encore 1580 salariés) et ses deux concurrents ont des coûts de production inférieurs à Sea-France. Ces coûts baisseront ils avec la SCOP ?

Non. La SCOP n’est pas une entreprise d’Etat, elle n’est pas investie d’une mission de service public, elle doit se plier aux impératifs économiques comme toute entreprise capitaliste. Elle se fera donc avaler par un plus gros poisson, comme Sea-France se fait bouffer aujourd’hui. Car l’objectif inavoué de la SNCF est bien la liquidation de sa filiale qu’elle laisse pourrir depuis 3 ans.

Ce qui préoccupe tout le monde dans cette affaire c’est moins les salariés que leur outil de travail : les ferries. Il est entendu que la SCOP se cassera la gueule mais tout le monde s’en moque : la CFDT parce que pendant ce laps de temps ils auront pu vendre leurs bateaux (à condition d’en être propriétaire, l’enjeu de la SCOP est là) et récolter de quoi se financer un plan social en or (150 à 200 millions) les armateurs, parce que même s’ils doivent attendre quelques mois, il pourront tranquillement faire affaire une fois la SCOP liquidé en rachetant les ferries et écartant les travailleurs qu’ils estiment être des « emmerdeurs ».

Quant au gouvernement, il pourra se vanter d’avoir sauvé des emplois et si la SCOP coule dans quelques mois, ce sera l’échec de la CFDT… De plus, les élections seront passées.

Le combat des salariés ne peut être que celui de négocier la sauvegarde du plus grand nombre d’emplois par le repreneur éventuel et la plus grosse indemnité de départ possible pour les licenciés. Leur rôle n’est certainement pas de mettre de l’argent dans le capital d’une entreprise capitaliste, SCOP ou pas. Ce jeu-là n’est pas celui des travailleurs.

NEYA

Publié dans Combat n°25 Janvier 2012

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