De la lutte des classes à la révolution… 1er partie : De la classe « en soi » à la classe « pour soi »

De la lutte des classes à la révolution…

1er partie :

De la classe « en soi » à la classe « pour soi »

 

Introduction

Avant de pouvoir sérieusement envisager l’offensive victorieuse des masses salariées, revenons sur quelques fondamentaux qui aujourd’hui font souvent cruellement défaut.

En effet, trop nombreux sont les travailleurs qui -dépourvus d’une éducation politique élémentaire- participent et renforcent leur propre exploitation. Face à la lutte des classes menée par le capital contre le travail, nous sommes une infime minorité à savoir lutter ou simplement à nous positionner, sur la question des salaires, du temps de travail, de la défense de nos emplois, des acquis en général, et des principes de lutte. Or, c’est justement là, dans une posture où se mêlent conscience du monde et dignité, que tout commence, et que la classe ouvrière et salariée cesse d’être une masse d’esclaves informe pour prendre place dans l’histoire !

1) L’existence actuelle de la classe prolétaire

Rappelons tout d’abord que la communauté d’intérêt des salariés, qu’on appel le prolétariat, est une réalité objective. En effet, aujourd’hui en France, plus de 90% des actifs occupés vendent leur force de travail contre un salaire, soit une proportion de travailleurs salariés qui a triplé en un demi-siècle ! Alors bien-sûr, parmi ces 90%, il existe une petite franche de salariés très bien rémunérés, qui peuvent -par exemple- vivre d’une rente foncière ou d’un capital quelconque. En ce sens, cette petite proportion qui représente au maximum 5 à 10 % des salariés, n’est plus obligé de vendre sa force de travail et constitue une forme « de petite-bourgeoisie salariée ». Ces privilégiés sont donc objectivement susceptibles d’être intéressés à la conservation du système dont elle tire quelques privilèges. Mais pour les autres, c’est-à-dire l’immense majorité des salariés, avec ou sans emplois, la communauté d’intérêts est un fait objectif, incontestable ! Quel que soit le secteur d’activité, du saisonnier agricole (secteur primaire) à l’ouvrier d’usine (secteur secondaire) en passant par les employés des services, de la distribution et des transports (secteur tertiaire), les travailleurs salariés forment bien une seule et même classe sociale. L’existence d’un prolétariat ultra-majoritaire, concentrant toutes les compétences et tous les niveaux de qualification, est devenue une réalité indubitable. Et cela, la bourgeoisie, qui elle, est très consciente de ses intérêts de classe, le sait parfaitement. Elle sait, qu’ayant perdu toute utilité sociale et toute légitimité objective à la direction de la société, en un mot qu’en étant devenue une classe parasite, que sa survie ne dépend plus que de sa domination idéologique sur les masses prolétariennes. Elle doit faire consentir au peuple l’idée que « l’économie de marché » est inéluctable, car, elle seule, peut « créer des emplois et des richesses » puisqu’il n’y a « pas d’autre modèle économique compatible avec la démocratie ». Bien-sûr ces idées sont mensongères et ridicules, mais elles sont martelées en permanence pour maintenir le prolétariat au rang d’exploités inoffensifs.

2) A la lumière du passé

Au 19ème siècle, la classe ouvrière naissante ne s’est pas organisée d’emblée sur les plans syndicales et politiques. Durement exploitées et peu éduquées, les premières générations d’ouvriers ont d’abord intériorisé et accepté leur condition sociale d’esclave. A cette époque, ce n’était pas seulement à l’échelle internationale que la concurrence s’exerçait entre les travailleurs, mais -faute d’une législation du travail commune- au niveau des entreprises, puis des branches d’activités entre-elles. Quand le bourgeois d’aujourd’hui impose des efforts et des sacrifices aux travailleurs en leur expliquant, que l’ouvrier marocain ou roumain coûte moins cher, il en allait du même procédé hier. Seulement, c’était les ouvriers de la fabrique dans la ville d’à côté qui étaient « meilleur marché » ! Quand le bourgeois d’aujourd’hui explique à son salarié que s’il n’est  « pas content », qu’un autre salarié se fera un plaisir de venir le remplacer, il n’en allait pas autrement hier, et c’était même pire puisque le droit du travail, l’existence de syndicats et la diversification des qualifications du salariat actuel ne « protégeaient » aucun travailleur. Pourtant, le prolétariat du 19ème  siècle, cette masse d’exploités sans droit, est parvenu à se faire respecter, à imposer des exigences et des libertés jusqu’à parfois défier la bourgeoisie en prétendant au pouvoir ! Comment la minorité d’esclaves incultes et souvent analphabètes du 19ème  siècle est-t-elle parvenue à faire trembler la bourgeoisie, et même à se hisser révolutionnairement -dans quelques pays au 20ème siècle- aux commandes de nouveaux pouvoirs d’Etat ? Par quel miracle ?! La chose est, en y réfléchissant un peu, beaucoup plus surprenante, en ce qui concerne le prolétariat d’hier qu’elle ne l’est pour le prolétariat -potentiellement « tout-puissant »- d’aujourd’hui ! Au 19ème siècle, avant que des esprits visionnaires tel que Karl Marx ne l’avance et ne le démontre, personne ou presque ne croyait possible que le prolétariat ne parviennent à de telles prouesses ! Les « socialistes utopiques » de l’époque, les Proudhon, Fournier ou Saint-Simon, ne se situaient en effet pas dans cette optique scientifique fondée sur l’analyse du capitalisme et de l’histoire de la lutte des classes. Ils se contentaient d’imaginer de façon complètement utopique, moraliste et charitable, un monde meilleur ou « idéal », qu’on ne sait quelles « forces », quels « dieux », ou quels  « bons bourgeois » auraient permis d’offrir au petit peuple.

3) Esclavagisme consenti ou dignité de classe.

Aujourd’hui, 20 ans après l’écroulement des premières tentatives de révolution et d’édification de sociétés ouvrières, le salariat est -politiquement et idéologiquement parlant- retourné plus d’un siècle en arrière. Ses anciennes organisations politiques, comme les Partis communistes, sont définitivement passées dans le camp ennemi, et les directions bureaucratisées de ses syndicats collaborent avec le système bourgeois et ne font qu’accompagner les reculs sociaux successifs, renforçant chaque fois ainsi la démoralisation des fractions conscientes du monde du travail. La plupart des travailleurs salariés est livrée à elle-même, désorganisée et sans éducation politique. Dans le cadre de la dégradation généralisée des conditions de travail, c’est-à-dire de la lutte menée par le capital contre le travail, nous assistons certes, à quelques sursauts défensifs des salariés, ici et là, mais globalement, le prolétariat subi la volonté des pouvoirs bourgeois (entreprises et Etat). Les travailleurs, en l’absence de représentants, d’organisations et d’autorités collectives capables de les souder autour d’intérêts communs, misent avant tout sur une somme de perspectives individuelles. Et lorsque chacun défend son bifteck dans son coin, cela signifie inévitablement la dégradation pour le plus grand nombre. Le chacun pour soi, c’est être seul contre tous ! Concrètement, nous assistons donc dans les milieux du monde du travail, aux pires comportements : pratique de la délation à l’égard de ses collègues et autres vils mesquineries ; excès de zèle au travail, qui, rappelons-le, ne relève jamais rien d’autre que de l’arrivisme ou d’une honteuse fierté d’être esclave, désinvolture collective en se rattachant pathétiquement à l’idée qu’on pourra peut-être s’offrir un billet d’avion bon marché pour se faire bronzer le ventre au soleil dans un hôtel à l’étranger… mais en réalité, nous perdons le plus gros de notre vie au travail et nous ressentons tous, fondamentalement, l’écrasement de nos possibilités d’épanouissement sous le poids de notre condition sociale. Il arrive donc un moment, « où la coupe est pleine », et dès lors le travailleur n’a plus que deux options : sombrer individuellement, avec ses arrêts maladie, ses dépressions ou ses « burning out » pour reprendre l’expression à la mode ou s’élever à la lutte collective, à la dignité retrouvée !

4) La conscience de classe.

Le travail idéologique mené par la classe dominante, et relayé par les principaux journaux, les radios et la télévision, consiste à affirmer que les classes sociales ont des intérêts communs. Les bourgeois injectent donc dans la tête des travailleurs l’idée selon laquelle, les emplois et les salaires dépendent de leur propre « compétitivité ». L’Etat et ses politiciens osent ainsi prétendre défendre « l’intérêt général » lorsqu’ils soignent les « entreprises », c’est-à-dire les riches qui exploitent les pauvres. La société bourgeoise, même si elle invente une « classe moyenne » pour brouiller les cartes, ne peut pas nier l’existence des classes sociales, mais elle tente d’effacer les contradictions et les antagonismes d’intérêt de l’esprit des masses prolétariennes. Dans ce sens, la haute-bourgeoisie, relayée par les moyennes et petites bourgeoisies, c’est-à-dire par les patrons des PME, les commerçants, les artisans et les paysans, va même jusqu’à imposer un modèle identificatoire aux ouvriers, pour que ces derniers confondent leurs intérêts propres avec ceux de l’ennemi. Ainsi, à l’instar des suisses qui avaient en 2012 été 67% à refuser, par referendum, le gain de deux semaines de congés payés, il y a de nombreux travailleurs qui sombrent dans le masochisme le plus stupide ! Dans certains milieux, c’est même un syndrome de Stockholm collectif, où les exploités prennent la défense de leur tortionnaire ! Et c’est un peu dans le même état d’esprit que le mouvement des « bonnets rouges » a pu entrainer des ouvriers derrière les patrons !

Mais quel travailleur émancipé de la mentalité d’esclave véhiculée par la bourgeoisie et la petite bourgeoisie n’est pas taraudé par l’idée qu’il mérite, d’être mieux payé ou de bénéficier de davantage de temps libre ? C’est en effet la base que de ressentir ou de comprendre que non seulement nous méritons, mais encore devons et pouvons, nous positionner pour nos intérêts, en temps et en argent ! C’est une question de dignité, d’abord, mais c’est aussi une question de principes et d’éducation politique élémentaire. En effet, il faut bien comprendre que les travailleurs salariés sont fondamentalement dépossédés d’une partie de la valeur qu’ils produisent ! Et nous ne pensons pas aux impôts, qui bénéficient aussi aux travailleurs sous forme « socialisée », en permettant de financer les services utiles à la population (éducation, santé, aides sociales, etc.), nous parlons de la part du travail et de la richesse que le salarié se fait voler par son bourgeois d’employeur ou, en dernière analyse, par les serviteurs publics du capital !

La conscience de classe du prolétariat n’est donc pas acquise d’avance, elle est déjà le produit d’une lutte de libération contre l’idéologie dominante. Les travailleurs salariés ont toujours oscillé entre, d’une part, l’idéologie du patron et d’autre part, la réalité de leur exploitation.

Et ce qui détermine le basculement ouvrier dans le camp de sa propre dignité c’est l’élévation de son niveau de conscience, c’est le développement de sa conscience de classe !

5) La construction de la classe « pour soi ».

La lutte collective pour ses intérêts propres, c’est le principe dynamique par lequel la classe se construit comme une entité à part, avec son identité propre.  Cette lutte peut-être déclenchée défensivement, c’est-à-dire en réaction à une attaque du capital contre le travail. Elle peut aussi être offensive et viser l’amélioration de la situation présente. Elle est souvent encouragée par le travail de militants ouvriers, politiques ou syndicaux, mais il arrive aussi qu’elle éclate de façon purement spontanée, c’est-à-dire indépendamment de traditions passées, du simple fait d’un sursaut de dignité et d’une soif de justice. En ce sens, la lutte salariée est la conséquence « naturelle » de l’exploitation, elle est une tendance inévitable dans une société divisée en classes en général et sous le capitalisme en particulier.

Lorsque les travailleurs déclenchent une lutte, ils sont très vite confrontés à des nécessités d’organisation pour se faire entendre de la direction ou des patrons. Ils entrent dans une émulation collective par laquelle la volonté revendicative et l’esprit de solidarité président à la construction d’une véritable autorité, d’un pouvoir des travailleurs dans l’entreprise, incarné par une assemblée générale, et par un comité de lutte ou encore le syndicat combatif présent. C’est cette sublimation prolétarienne qui fait prendre conscience de la force collective de sa classe, mais c’est ensuite la capacité à édifier un pouvoir autoritaire qui fait trembler l’ennemi bourgeois et qui permet d’obtenir des victoires ! Ce dernier point est fondamental ! C’est lorsque le prolétariat construit et assume son autorité, et que celle-ci s’impose, de grès ou de force, à tous ses membres, qu’il crée les conditions pour gagner des batailles ! Car si l’autorité prolétarienne dans l’entreprise reste molle et ne s’assume pas, si par exemple, les « collègues » restent libres d’aller travailler quand la grève est votée, si des « jaunes » peuvent remplacer les grévistes sans risquer de se faire casser la figure ou encore si les autorités publiques et la police peuvent interdire sans peine l’occupation d’un site, alors la défaite est assurée ! Et c’est actuellement souvent ce qui se passe ! C’est une des raisons importantes qui explique les difficultés des travailleurs salariés à obtenir des victoires et à renouer avec la dignité d’une classe consciente et combattant pour elle-même !

Conclusion :

Le prolétariat est une réalité objective, il est puissant et plus capable que jamais d’envoyer ses exploiteurs dans les coulisses de l’histoire. La classe dominante le sait, elle bénéficie de l’appui des vieux appareils ouvriers corrompus et elle entretient soigneusement ses pare-feu idéologiques, pour entretenir les divisions et freiner les premières phases du développement politique du prolétariat. A l’instar des pionniers communistes du 19ème siècles, le travail et la capacité de développement des jeunes forces de la révolution -dont nous faisons fièrement partie- est donc d’une importance capitale pour débroussailler les chemins de la révolution. Voilà pourquoi, déjà, dans la construction de la classe pour soi, l’engagement révolutionnaire s’impose.

ELIAS

Publié dans Combat n°33 Hiver 2013/2014

De la lutte des classes à la révolution… 2ème partie : De la classe combattante à l’insurrection

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